Il y a 8 ans, je me suis mis en tête de longer le terrain de jeux des enfants par une prairie fleurie, transition douce entre le cher gazon tondu ras d'Olivier et l'allée ombragée qui le jouxte. Lors d'une fête des plantes, le spécialiste en graines sauvages que je bombardais de questions m'a suggéré de planter, entre autres, des Tulipa sylvestris, tulipes bien de chez nous, parfaitement adaptées à notre terroir. Impressionnée, j'ai craqué illico!
Mes bouquins ont confirmé les propos du gentil pépiniériste. Cette tulipe, très rare, est la seule du genre à pousser toute seule dans nos prés. Enthousiaste, j'ai planté les 6 petits bulbes accompagnés d'un repère, histoire de les garder à l'œil. C'était l'automne et j'étais très impatiente de les découvrir au printemps, rêvant déjà d'une prairie jonchée de tulipes jaunes!
Avril suivant, sont apparues, autour du bâtonnet, une dizaine de petites feuilles plates et glauques, mais pas de fleurs. Laissons leur le temps de s'installer, de prendre leurs aises et de forcir. Une plante rare ça se mérite, me suis-je dit.
3 printemps se sont succédé, et les petites feuilles se sont étendues sur plusieurs mètres, mais point de fleurs ! Le quatrième fut le bon. Etait-il assez doux et pluvieux ou au contraire bien froid et sec? Je n'en sais plus rien, sauf qu'il devait convenir à ma tulipe, puisqu'elle a osé une fleur. Le tendre bouton jaune, empreint de coquette timidité, était incliné vers le bas. Le rose aux joues, la jeune fleur battait lentement de ses pétales retroussés.
C'était le signe que les bulbes avaient enfin acquis leur maturité. Les floraisons allaient démarrer, j'y croyais ferme! D'années en années, le réseau de petites feuilles s'est étendu encore et encore, mais toujours des feuilles et rien que des feuilles.
Voilà que ce 8è printemps, j'ai droit à deux fleurs. Si le bulbe s'en tient au calendrier olympique et aux courbes exponentielles, il y en aura 4 en 2016, 8 en 2020, 16 en 2024 ... Mais chenue et centenaire pourrais-je encore admirer son tapis de fleurs jaunes ? Les plantes connaissent-elles les mathématiques et les jeux olympiques ?
J'ai lu avec un peu plus d'attention. La réalité est plus triste. Cette tulipe n'aime pas fleurir. Il faut pousser une longue tige, produire une fleur, fabriquer du pollen, se faire lécher l'intérieur par des insectes et finir par mourir de soif dans un vase. L'exercice est épuisant. Elle préfère étaler ses rhizomes en stolons qui vont porter à quelques centimètres de leur mère des bulbilles tout aussi glandeurs qu'elle.
Dans la nature, cette tulipe n'est pas rare. Sous terre, elle pousse incognito de bulbes en rhizomes et risque quelques feuilles en surface pour faire provisions de chlorophylle. Sans fleurs ou presque, personne ne la remarque et point de cueillette intempestive et ravageuse.
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