Le jardin, c'est tout !

Une belle épitaphe

L'un de mes petits plaisirs favoris du matin, après la promenade au jardin et la tasse de thé, c'est la lecture du journal. Je parcours les grands titres, lis quelques articles politiques, forte du compte-rendu quotidien de mes quatre hommes, je zappe le sport, mais je m'arrête toujours à la nécrologie.

J'ai horreur des mondanités et des potins, mais je prends un malin et tendre plaisir à essayer de reconstituer la trame de ces vies qui s 'achèvent. Le texte court et laconique laisse le champ libre aux suppositions et à l'imagination. Il y a de quasi centenaires dont la descendance occupe toute la hauteur de la page. D'autres plus solitaires aux histoires compliquées. Il y a des jeunes aussi et je pense à ces parents que je ne voudrais pas être. Parfois la famille ajoute un verset de la Bible, une pensée, des remerciements. Trois petits mots qui en disent tant.

Et justement, voilà qu'il y a quinze jours, l'une de ces petites phrases m'a laissée rêveuse.

"Jardinier en chef de son jardin".... J'y ai vu de la douceur et de la passion, de l'humour et de l'affection. Ce titre devait être à ses yeux bien plus important que les autres....

Nous partons (encore!) en vacances vers le Sud. je ne pourrai donc répondre à vos commentaires et vous donne rendez-vous le 4 avril. D'ici là, jardinez bien.

Petits instants et grands souvenirs

Dans un jardin, le mien ou celui des autres, il y a parfois de minuscules détails qui déclenchent de grands émois. Alors que pliée en deux je tordais le collet à quelques renoncules un peu trop téméraires, je ne sais pourquoi, l'un d'entre eux m'est revenu en tête.

C'était au printemps dernier, à Woodchippings, dans le Northamptonshire. Il faisait très beau et très chaud. C'était un tout petit jardin de 12 ares que se partageait un couple: à droite les fleurs de Madame, à gauche, les plantes de Monsieur. Chaque partie, dans des styles différents, débordait de générosité et de passion. Monsieur préférait les tapissantes, la mi-ombre et les Epimedium, tandis que Madame s'éclatait avec les couleurs, la lumière et les volumes.

Entre les deux, une petite pelouse de quelques mètres carrés faisait office de terrain neutre. Et au centre du mouchoir de poche, trônait une étrange cloche de bois tressé. Nous nous sommes approchés, pensant trouver une grenouille, une tortue ou un lapin en pension temporaire. Mais, à part quelques trèfles ébouriffés, nos yeux écarquillés à 1,7m de haut ne voyaient rien. Il a fallu nous accroupir, puis nous agenouiller pour distinguer enfin le mystère.

L'arche d'osier protégeait un Ophrys fucifera ou Ophrys bourdon en pleine floraison. Bouche ouverte et lèvre pendante, l'orchidée mimait avec conviction la femelle bourdon. Elle attendait le mâle qui croyant à une belle aubaine, allait se poser là et tenter de s'accoupler. Il se couvrirait alors de pollen et le déposerait plus loin dans la bouche d'une autre orchidée.

Nous sommes restés là un bon moment à admirer une si petite chose capable de si grands stratagèmes.

Jardin anglais ou jardin français ?

Récemment, une journaliste m'a demandé de l'aider à trouver, en France ou tout près, des jardins de style anglais et français. Pour les premiers, je n'ai eu aucun mal. La souplesse des paysages britanniques et des mixed-borders à la G. Jekyll fait encore rêver de nombreux jardiniers de l'hexagone. Pour les seconds, ce fut une autre affaire. Ironie de l'histoire, les seuls qui me venaient à l'esprit se trouvaient en Angleterre!

Je pensais aux broderies de R. Verey à Barnsley, au jardin formel d'Anita Pereire, aux entrelacs de Bennington.... Mais, en France, à côté des jardins de châteaux, je ne voyais aucun jardin privé dont une parcelle au moins fut d'inspiration française. C'est connu, les enfants renient souvent ce que leurs parents - ou plutôt leurs aïeux - ont adoré, les modes passent et l'herbe est toujours plus verte dans le pré d'à côté. Les Français ont donc oublié et même souvent rejeté leurs glorieuses symétries aux origines italiennes qui, paradoxalement ont beaucoup influencé le jardinage anglais.

Et même celui des pays voisins. Puisqu'en fouillant dans mon fatras photographique, j'ai fini par me souvenir de l'entrée du jardin des Déesses Vertes près de Bruges. Des diagonales de buis qui se croisent et se décroisent, dessinent des losanges plantés de Hosta et d'Asarum. Ces douces déclinaisons de verts, bleutés à tendres, tenues par une ossature régulière sont un régal pour les yeux. Placées au Nord de la maison , la lumière retenue met en relief la simplicité des contrastes.

Mais peut-on vraiment parler d'une scène d'inspiration française? On y voit bien la géométrie et les buis, la sobriété des couleurs et la nudité de la perspective. Mais un souffle anglais l'anime: le contraste des feuillage, les Hosta généreux et sans limaces, et la douceur du vert sous un climat doux.

Anglais ou Français, peu importe. La fusion des influences n'est-elle pas le terreau de la créativité ?

Actus de Mars. - France Culture, dans le cadre des Jeudis de l'architecture, a diffusé le 3 mars une émission consacrée à Erwan Tymen, paysagiste breton. Heureusement, elle est encore disponible en podcast! - L'Arboretum de Wespelaar, extension des collections de Ph. de Spoelberch est enfin ouvert au public, les dimanches et mercredi de 10h à 17h. Les fabuleux magnolias qu'il abrite valent le détour!

Pour éclairer le sous-bois

Petit à petit le sous-bois s'étoffe. Les Crocus se multiplient et les Cyclamen se succèdent de septembre à fin mars. J'aime bien le contrepoint frais et dynamique des Hellébores jaune pâle, soutenu par les lanières citron des Acores (Acorus gramineus 'Ogon'). Mais tout cela manque encore de densité et de "peps". Pour la densité, c'est facile, il suffit de planter encore et encore. Mais pour le "peps", c'est beaucoup plus compliqué.

Les Eranthis hyemalis aux feuilles découpées et fleurs en coupe jaune comme les boutons d'or me plaisent beaucoup. J'en ai planté 25 cet automne. Et bien rien! Rien de rien, et ce n'est pas le premier essai. A contrecœur, j'accepte de renoncer à la fleur, mais pas à la couleur. Quelle petite plante jaune, épanouie en févier - mars, se plairait à l'ombre sèche ?

L'imagination végétale au point mort, j'ai entrepris le nettoyage des grands massifs. Et comme toujours, c'est en gratouillant la terre que mes idées se réveillent. Coincée entre pulmonaires et geranium, j'ai aperçu une flaque d'Hacquetia epipactis, fruit d'un achat compulsif et plantée là à tout hasard. Elle pousse bien, mais souffre visiblement de passer inaperçue.

C'est exactement celle qu'il me faut: une petite plante de sous-bois, faite pour le calcaire. Et vu sa santé, elle doit parfaitement supporter la soif! Il lui faudra un peu de temps pour former une mare, mais j'ai confiance en elle.

Etranges découvertes....

Je me suis toujours demandé comment faisaient les jardiniers anglais pour découvrir, comme ça, juste par hasard, au beau milieu de leur plate-bande, de nouvelles variétés de plantes.

Dans mes rêves fous, je m'imagine parfois en Lady Beatrix Stanley (*), se promenant, entre deux séjours en Inde, dans ses bois de Sibbertoft Manor (Northamptonshire) et remarquant, parmi des milliers de perce-neige, un exemplaire double, aux marques vertes réduites à de petits points verts...

Faut-il être impérativement de souche anglaise pour avoir droit à de telles découvertes ? Leur terre douce et généreuse est-elle davantage propice aux mutations ? A moins que ce soit leur regard. Affuté par des siècles de jardinage, il doit détecter mieux que quiconque le moindre désordre végétal.

Maigre héritière de deux générations de jardinage, le mien ne doit pas être à la hauteur. Pourtant je m'exerce. A chaque promenade, à chaque nettoyage de massif, j'observe, je guette. Mais rien. Rien de remarquable ne se distingue.

Sauf que la semaine dernière, j'ai cueilli un ultime gros bouquet de perce-neige dans le jardin de ma mère pour le lui offrir. Accroupie dans l'humus du petit bois, je les coupais brin par brin, avec soin, pour ne pas abimer les feuilles et le bulbe. Et tout à coup, l'œil au ras du sol, je me suis trouvée nez à nez avec une touffe particulière. Les pétales, pardon, les tépales externes, étaient délicatement marqués au sommet, de stries vertes en forme de "V" renversé.

Ca alors! J'ai tourné autour, je me suis frotté les yeux. Je ne rêvais pas. Je n'étais pas Lady B. Stanley, mais bien Sophie A. et je venais de découvrir une variante spontanée de Galanthus nivalis. Toute émoustillée, j'ai marqué l'emplacement avec des branchages, puis, avec ardeur j'ai repris ma cueillette.

Et voilà que 3 m. plus loin, je tombe sur quatre perce-neige géants. Deux fois plus hauts que leurs congénères. J'ai mesuré avec les mains. Non seulement la feuille et la tige, mais la fleur aussi est beaucoup plus grande. Je ne tenais plus d'émotion. Cela ne pouvait être qu'un signe du destin, un clin d'oeil du grand jardinier!

Ce jardin familial va hélas changer de propriétaire. J'ai déterré et amené ici chez nous, dans notre jardin, ces deux perce-neige étranges. Je croise les doigts, mais j'ai peur. J'espère qu'ils vont s'habituer dans ma terre un peu moins généreuse.

(*): Lady Beatrix Stanley a bel et bien découvert dans ses jardins de Sibbertoft Manor un perce-neige double à très petites marques vertes sur les tépales externes