Nous sommes en juillet 1983 à Varsovie, et il fait déjà chaud, bien qu’il ne soit encore que 6h du matin. La journée s’annonce radieuse. Le Frère Stefan Franczak est déjà prêt. Alors que tout le monde dort encore, il se faufile silencieusement dans les couloirs pour rejoindre la cuisine. Pressé, il ne prend pas la peine de faire du café. Un bout de pain lui suffit. Comme tous les jardiniers, il aime se promener dans son jardin à l’aube. C’est à ce moment que la lumière est la plus belle et le silence le plus beau. Il regarde une à une ses plantes, prend des notes et évalue le travail à faire. Mais aujourd’hui, il reporte la promenade à plus tard et se dirige directement vers la petite pépinière.
Je dis « son » jardin, pourtant ce jardin n’est pas vraiment le sien. Mais celui du couvent de la Compagnie de Jésus à Varsovie. Il y est entré il y a plus de trente cinq ans. Comme beaucoup de familles de paysans polonais, la sienne est nombreuse et très pieuse. Il est le douzième de quatorze enfants et ses parents l’élèvent, comme les autres, dans une foi profonde et sincère. Sa voie est toute tracée. Après des études d’agriculture qu’il a poursuivie vaille que vaille pendant la guerre, il est entré comme novice au couvent jésuite de Kalisz. Et après deux ans, ses supérieurs l’ont dirigé vers le collège jésuite de Varsovie, où très vite, sa vie va prendre un tour inattendu.
C’est qu’en 1948, la vie dans Varsovie « libérée » par l’armée soviétique est loin d’être simple. Le régime communiste se met en place et les rapports qu’entretiennent les Jésuites avec la nouvelle autorité ne sont pas excellents, on s’en doute. Ils s’enveniment même à propos d’un terrain d’1.5 ha que la communauté possède juste à côté du couvent. Pendant la guerre, les Pères y ont fait pousser fruits et légumes. Mais la paix revenue, ils souhaitent y construire une église. Les autorités s’opposent au projet et menacent de confisquer le terrain. C’est sans compter sur la ruse légendaire des Jésuites qui, très vite, imaginent une parade géniale et infaillible : transformer le potager en jardin public, ouvert à tous. Piégé, le pouvoir communiste doit bien admettre sa défaite et tolérer cette initiative étonnamment collectiviste.
Et c’est ainsi que Stefan Franczak devient le jardinier du parc public du Collège des Jésuites à Varsovie. Il y a tout à faire et il a carte blanche. Très vite, il se prend au jeu et se passionne pour son nouveau métier. Il travaille d’arrache-pied, débroussaille, bêche et plante. Le parc s’enjolive rapidement et devient célèbre à Varsovie d’abord, puis dans toute la Pologne. Malgré les difficultés économiques de l’après-guerre, il parvient à rassembler 900 variétés de plantes qu’il étiquette soigneusement. Et comme tout jardinier, il a bien sûr ses préférences. Pour les clématites surtout. C’est qu’elles se plaisent bien dans la terre riche et ameublie de l’ancien potager. Si bien, qu’en désherbant, il trouve régulièrement des semis spontanés au pied des plants adultes qui grimpent sur la clôture du jardin. |
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Par jeu, il s’est mis à les collectionner et à les hybrider. C’est un gros travail de patience. Il faut prélever au pinceau le pollen des unes pour l’introduire dans | Photo prêtée par la Pépinière de Szczepan Marczyński et M.Sc. Władysław Piotrowski |
le pistil des autres, et encapuchonner la fleur fécondée pour éloigner les insectes qui pourraient y déposer un autre pollen. Les graines récoltées sont semées et germent au printemps suivant si tout va bien. Il leur faut parfois deux hivers pour se réveiller. La plantule grandit et fleurit l’année d’après encore. Puis pendant près de dix ans, Stefan les observe, évalue leur vigueur, apprécie la beauté de la fleur, sa résistance à la pluie, sa tenue au soleil ou la couleur des étamines. Il en élimine beaucoup.
Ce matin justement, il va inspecter les plantes sélectionnées, les passer en revue, parce qu’il attend quelqu’un. Il a l’habitude des visites annuelles de Jim Fisk, ce pépiniériste anglais à qui il confié quelques unes de ses créations. ‘Warsawska Nike’ notamment. Jim l’a multipliée et diffusée largement en Europe de l’Ouest et même aux USA, où elle a rencontré un franc succès. L’an dernier, une autre, ‘Jan Pawel II’, a même fait un tabac au Chelsea Flower Show. Stefan Franczak est presque devenu célèbre au Royaume Uni.
Mais il n’a jamais entendu parler de ce Raymond Evison qui lui a écrit au printemps pour prendre rendez-vous. Il s’est présenté comme pépiniériste, installé à Guernesey. Il ne connaît pas ses goûts et encore moins ce qu’il recherche. Le climat est différent là-bas. Cela l’inquiète un peu.
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