Le chicon a mauvaise réputation. Souvenirs d'enfance, je suppose...
Beaucoup d'enfants du Nord ont mis, comme moi, 15 ans avant d'accepter d'en goûter sans passer leur cuisinière de mère à la moulinette. Rien qu'à voir ces feuilles anémiques gisant dans leur jus au fond de la casserole, leur jeunes estomacs se transformaient en bouillie.
Mais avec l'âge mûr est venue l'extase. De chicot blafard, le chicon est devenu noble bourgeon. Chaque jardinier digne de ce nom en cultive dans sa cave et chaque cuisinière prétend détenir les secrets de sa juste cuisson.
Si les adultes ont oublié les dégoûts de l'enfance, le vocabulaire a la mémoire tenace. Ne dit-on pas "avoir une mine de chicon" ?
Pourtant, le paisible Brésiers n'avait rien d'un sordide tortionnaire d'enfants. Il était jardinier chef au jardin botanique de Bruxelles. Selon la légende, durant l'hiver 1830, le premier de la Belgique indépendante, il eut l'idée de recouvrir de terre les racines de chicorées (Cichorium intybus) qu'il avait rentrées dans les caves pour les torréfier. Et, surprise, alors que le gouvernement provisoire hissait le drapeau belge, de beaux bourgeons blancs ont poussé! Les deux symboles de la Belgique étaient nés en même temps.
Le romantisme nationaliste en a rajouté une couche. En réalité, cette méthode de forçage en cave était déjà utilisée pour produire la barbe-de-capucin. La nouveauté, que certains attribuent au schaerbeekois, Jan Lemmers fut de les recouvrir de terre, de fumier et d'arroser. Bien plus tard, vers 1840-50 seulement, Brésiers aurait alors étudié le phénomène. La version est moins épique, mais plus réaliste...
Les jardiniers ont vite compris le parti qu'ils pouvaient tirer de ce légume à la culture simplissime: deux petites journées de travail par an en tout et pour tout. Et tant pis pour les enfants, c'est ça ou rien.
1er jour: mi-mai, dès que les saints de glace sont oubliés, les graines de chicon sont semées dans une terre légère, sans fumure récente. On les recouvre d'1 cm de terre. Bien sûr, il faut éclaircir pour garder un plant tous les 15 cm environ, sarcler de temps en temps et surveiller l'arrosage, mais rien de plus, jusqu'en novembre.
2è jour: à la Toussaint, avant les grosses gelées, les racines sont arrachées à la fourche et les feuilles coupées à environ 4 cm du collet. Dans une caisse en plastic, style box empilable, ajuster un sac poubelle en plastic noir. Y ranger les racines verticalement, serrées les unes contre les autres. Si l'une d'elles est trop longue, pas grave, on lui coupe quelques cm à la base. Compter grosso modo 50 racines dans une caisse. Remplir et recouvrir de terre, de tourbe ou de sable. Ficher entre les racines, aux quatre extrémités, quatre brindilles. Arroser copieusement, refermer le sac poubelle et descendre le tout à la cave. Reste à jeter un oeil de temps en temps et à arroser. Après 3 ou 4 semaines, suivant la température ambiante, la récolte commence....
Personnellement, j'ai tendance à zapper l'étape 1. Les chicorées prennent beaucoup de place au potager et les racines se trouvent partout, au marché ou chez le grainetier, par sac de 50 pièces. Je vous assure que ces chicons maison sont bien plus tendre et goutteux que ceux du commerce.
Je les prépare braisés au beurre, en gratin, ou en salade . Les enfants rouspètent beaucoup mais ce n'est pas grave. Vous verrez, dans 20 ans vous aimerez et vous en cuisinerez pour vos enfants ...
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